Un café avec Léonard Kadid
Interview par Charlotte Imbault
Au coffee shop Residence Kann, le designer de la chaise Tal, Léonard Kadid, architecte et designer produit, revient sur son univers créatif, ses inspirations et ses pratiques de créateur. La chaise Tal marque la première collaboration de Kann Design avec le designer et le début d’une collection, en préparation, qui porte le même nom « Tal ». Tal pour la contraction du « T » qui est la forme caractéristique de la structure d’assemblage de toute la collection et « al » pour aluminium.
Tu as fait des études d’architecture, comment es-tu arrivé au design produit ?
J’ai commencé par l’architecture avec des études à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne en Suisse et à l’École d’Architecture de la Ville et des Territoires à Paris. Ma pratique de designer a commencé dans des ateliers d’agences d’architecture dont l’atelier d’Herzog & de Meuron qui disposait d’un très grand atelier maquette avec énormément de machines et de matériaux à disposition. Ça m’a permis de développer en parallèle de ma pratique d’architecture, une pratique dans la réalisation d’objets concrets et physiques. Je pouvais travailler directement à l’échelle de l’objet, avec la matière, ce qui me permettait de développer des solutions technique d’assemblage ou des solutions qui pouvaient provenir de composants techniques venant informer le projet. Dans ces premières années d’études d’architecture, c’est toujours quelque chose que j’ai trouvé intéressant et que j’ai poursuivi jusqu’à aujourd’hui.
Avec l’objet, c’est le temps plus rapide de la réalisation qui t’a plu ?
Exactement. En architecture, il y a énormément de projets qui n’aboutissent pas, qui peuvent rester au stade du concours ou de l’esquisse. C’est d’ailleurs à ce titre que la composante importante pour moi d’un projet, que ce soit en architecture ou en design d’objet, c’est la maquette. Elle est la physicalité qui reste du projet. C’est un peu la première construction.
Comment répartis-tu ton temps entre l’architecture et le design d’objet ?
C’est vraiment 50/50. En tant qu’architecte, je travaille sur des projets qui relèvent plus de l’ordre de la rénovation ou de l’extension, mais j’ai envie d’évoluer vers des projets plus importants. Je suis autant passionné par l’architecture que par le produit. C’est simplement des responsabilités et des temporalités très différentes.
Comment tes deux passions communiquent-elles ?
De l’objet à l’architecture, ce qui m’intéresse énormément, c’est de décomposer pour arriver à des systèmes constructifs simples, pour avoir une réalisation simple et maîtrisée afin d’éviter les aléas dans la construction. D’avoir une approche à l’échelle de l’objet : connaître les machines qui vont façonner certains types de pièces, connaître leurs modes de production. Ça me permet en amont de réfléchir à des façons de construire avec une mise en œuvre facilitée. De l’autre côté, dans le design, la question de la structure est fondamentale dans mon travail, avec une idée d’économie de moyens. Dans cet optique, je développe des astuces : des principes structurels qui viennent mettre de la matière seulement là où elle est nécessaire et qui facilitent les questions de montage, démontage et de modularités.
Te définirais-tu comme un minimaliste ?
Non, pas du tout. Le minimalisme peut être une fin en soi. Or ce n’est pas du tout l’idée, il faut qu’il y ait l’usage. Je travaille dans la réduction. Je laisse la matière informer l’objet pour pouvoir avoir une utilisation rationnelle de cette quantité de matière. Si les formes de la matière sont extravagantes, c’est qu’il y a une raison qui va être soit structurelle soit de l’ordre de l’usage.
C’est l’usage qui vient informer un objet en premier ?
Non, dans un premier temps, l’information vient vraiment de la matière. Le matériau influe sur un mode de mise en œuvre et de production et, en ayant en tête ces modes de production, je définis, dans un deuxième temps, un système structurel qui vient naturellement fonctionner avec le matériau pour répondre à un usage et notamment à une diversité d’usages. Je m’intéresse à ce qu’il y ait plusieurs usages pour un seul objet, pour multiplier le champs des possibles d’un objet. Récemment, j’ai dessiné deux lampes qui ont été exposées à la galerie Poggi et qui, quand elles sont éteintes, sont des monolithes, mais l’idée ce n’est pas qu’elles soient des monolithes, mais qu’elles donnent à l’utilisateur l’envie d’ouvrir la lampe, de la fragmenter et d’avoir toute une compréhension de l’objet par sa manipulation et par son observation. Ce n’est pas simplement une forme même si la forme et les proportions sont fondamentales pour qu’un objet soit réussi. L’objet doit accomplir son usage, cela fait partie du « programme » de l’objet.
Dirais-tu que tu as des matières fétiches avec lesquelles tu aimes travailler ?
Pas du tout. Je suis ouvert à tout matériau. Par exemple, le béton. L’une des deux lampes que j’ai exposées chez Poggi en 2020 est en béton teintée dans la masse, car j’avais absolument envie de travailler le béton à l’échelle de l’objet. La forme de la lampe correspond au mode de mise en œuvre du matériau. Comme c’est un matériau en coulée, ce sont des formes qui sont très simples et faciles à démouler. La façon dont un objet est produit est aussi quelque chose qui va informer le dessin de l’objet. Donc la source de la forme peut venir du matériau, mais elle peut aussi venir d’un élément technique. C’est le cas pour la collection Tal dessinée pour Kann et qui va s’agrandir. La collection part de la conception d’un assemblage architectural que j’ai voulu transposer dans le design. Il s’agit d’un système constructif qui utilise des profils en aluminium en forme de T.
Quel est ton rapport au papier ?
Je dessine sur des carnets, toujours en format A4. Je dessine beaucoup et tout le temps, pas forcément de façon appliquée, parfois tard le soir, pour poser un concept ou une idée d’un objet futur. C’est en dessinant que je réfléchis à l’assemblage et au montage. Je passe toujours par le dessin avant de modéliser sur un logiciel en 3D, pour mettre à plat et déjà pouvoir éliminer pas mal d’options.
Que se passe-t-il après les dessins ?
Après la modélisation en 3D, par exemple pour les chaises, je fais des maquettes à l’échelle 1 en papier disposées sur un tabouret dont j’aime la hauteur. Cette maquette à l’échelle 1 en papier me permet de tester les surfaces de contact. Le fait que la chaise soit confortable, cela fait partie du programme : il le faut. L’usage est essentiel. Pour la chaise Tal, le détail de l’assemblage a aussi été influencé par le fait que je voulais qu’elle puisse être livrée à plat pour permettre des économies de transport. Ça fait partie du travail de développement du projet. Bien sûr, j’ai une grande sensibilité liée aux proportions, aux matières, aux couleurs et aux contrastes, mais ce que je montre avant tout, c’est l’essence d’un objet.
C’est cette question de l’essence de l’objet qui te ferait démarrer le design d’un objet ?
Oui, je m’interroge toujours : quelle est l’essence de cet objet ? Qu’est-ce que la matière veut être ? Que le matériau aussi puisse dire « en étant cet objet, je le suis de façon optimale ». J’essaye que l’objet ait une présence. Je suis dans cette recherche constante de comprendre l’essence de l’objet. J’ai d’abord commencé par l’éclairage, par le luminaire dans le design.
Tu donnes l’impression d’être un compositeur-chimiste, à la fois alerte sur les composants, les matières, les couleurs, la technologie, les modes de production…
Oui, il y a aussi la notion de durabilité. Dans ma démarche, vis-à-vis des défis environnementaux et écologiques actuels, je m’intéresse davantage au cycle de vie et à la durabilité de l’objet et, dans l’architecture, de la même façon. Si l’objet est bien dessiné et dure, on n’a pas besoin d’en changer et on peut le transmettre, et si on peut le transmettre, on élimine la problématique du recyclage.
Comment entretiens-tu ton univers créatif ?
Le voyage est une de mes sources d’inspiration la plus importante, la plus fascinante et la plus libératrice. Il y a énormément de projets qui naissent en voyage. Quand j’étais à Hong Kong, j’ai été surpris par le nombre d’objets utilitaires très simples qui sont faits en bambou. J’ai d’ailleurs ramené un petit repose théière. J’essaye toujours de rapporter des objets ou des matières de voyage. Chez moi, commence à se constituer un véritable cabinet de curiosités où sont à vue beaucoup d’échantillons de roche, un bloc de béton cellulaire, un objet en pierre de lave…